A L'OCCASION DE LA DIFFUSION PROCHAINE SUR FRANCE 2 DE "L'AFFAIRE BEN BARKA", JEAN-PIERRE SINAPI, SON REALISATEUR, REVIENT SUR UN TOURNAGE PAS COMME LES AUTRES, AVEC EN PRIME UN RETOUR SUR SON PARCOURS DE CINEASTE.
RENCONTRE AVEC UN CINEASTE
QUI NE MANQUE NI DE TALENT NI DE COURAGE.
DIFFUSION DE L'AFFAIRE BEN BARKA
FRANCE 2 LUNDI 21 ET MARDI 22 JANVIER A 20H50
- Après les films de Boisset et de Le Péron, pourquoi une nouvelle uvre sur laffaire Ben Barka ?
Le film de Boisset a été réalisé en 1974, soit 9 ans après lenlèvement de Medhi Ben Barka. A lépoque de son film on a vite supposé que Hassan II et son bras droit, le ministre de lintérieur étaient mouillés dans laffaire avec des flics français. Mais au total on savait très peu de choses de manière officielle. Boisset a donc réalisé lAttentat sans que lon connaisse tous les dessous de laffaire. Il sagit dune vraie fiction qui mélange plein de choses, qui sinspire de laffaire Ben Barka mais nen parle pas vraiment. Le film de Le Péron Jai vu tuer Ben Barka, lui, a pour héros Figon, un ancien repris de justice, un fils de bonne famille qui a mal tourné et qui est devenu la coqueluche de St Germain Des Près dans les années 60. Il a eu pour marraine de prison Marguerite Duras. Sartre a écrit sur lui dans Les Temps Modernes. Toute la gauche intellectuelle sétait entichée de ce personnage. Le sujet du film nétait donc pas laffaire Ben Barka mais ce personnage qui a été un acteur important du piège dans lequel Ben Barka a été entraîné. Ce film ne parle pas de laffaire en elle-même mais évoque plutôt St Germain Des Près à travers ce personnage. Sur le plan historique de laffaire, ce film na pas un grand intérêt. On sait depuis 2001, 2002 exactement ce qui sest passé et on peut maintenant parler de laffaire Ben Barka en toute connaissance de cause. Laffaire Ben Barka est un vrai film sur le sujet : il montre comment le piège a été organisé avec la complicité très active de la CIA et des services secrets marocains. Le film parle donc vraiment de Medhi Ben Barka et de limbécillité complaisante de la police française qui a participé à laffaire. Ce film parle dans sa première partie de lenlèvement devant la brasserie Lipp et dans la seconde du scandale qui a secoué la république française et la Vème République suite à cet événement.
- Cette affaire nest pas totalement classée nest-ce pas ?
Bien sûr, aujourdhui, la femme de Medhi Ben Barka continue de chercher ce quest devenu Ben Barka après lenlèvement. On sait quil est a été torturé, quil est mort; on sait où ça sest passé mais il reste une question : quest devenu son corps ? La famille de Medhi Ben Barka na toujours pas pu faire le deuil de sa disparition, elle cherche toujours à connaître le destin de ce corps.
- Ce film a été une commande je crois ?
Oui, la production Scarlett ma contacté pour réaliser le film et jai accepté avec enthousiasme alors quil est plutôt rare que je réponde à des commandes. Dhabitude jécris mes propres films. Jai accepté car le sujet me touche profondément. Même si je ne suis pas de cette génération là, jai le souvenir de qui était Medhi Ben Barka. Un de mes meilleurs amis marocains a appelé son fils Medhi en hommage au personnage. Ben Barka est une figure, une sorte de Jean Moulin à léchelle du Tiers Monde. Autant de raisons pour lesquelles je me suis senti pleinement engagé dans ce projet.
Joëy Faré avait déjà produit un film sur le Raimbow Warrior et un beau téléfilm sur Jean Moulin. Je pense quelle est une productrice qui a des opinions et qui les défend. Elle sengage sur des films qui ont un contenu dense. Que lon partage ou pas son point de vue, ses choix de production se portent sur des films forts.
- Comment sest déroulée la mise en place du projet dans un contexte politique encore brûlant ? As-tu rencontré des difficultés ou même des oppositions pour tourner ce téléfilm ?
Je nai pas eu de pression mais plutôt des tracasseries. Lun des personnages clefs de laffaire en France est Papon, à lépoque préfet de Paris. Il est une des pièces maîtresses de cette histoire: cest lui qui a étouffé laffaire. On était à lépoque à quelques semaines de lélection présidentielle à laquelle se présentait le général de Gaulle. Il y a aussi le fait que ceux qui ont enlevé Ben Barka avec la complicité des services secrets et de la CIA étaient ceux qui 3 ans auparavant avaient enlevé le chef de lOAS en Allemagne et lont livré pieds et poings liés à De Gaulle. Le film Ben Barka dérange quand même beaucoup. Cette affaire nest pas totalement réglée. On ne peut pas dire que la France soit sortie grandie de cette affaire.
En France au niveau des autorisations de tournage, il ny a pas eu de soucis sauf une fois au musée des Archives, un décor important, où nous avons tourné. Après nous avoir dit oui au début, on nous a refusé lautorisation de tourner avec le motif écrit suivant « sujet délicat en période préélectorale ». Face à notre colère ils sont revenus sur leur refus de tournage. Après ce ne sont que des péripéties : au jardin du Luxembourg on nous a demandé de ne pas tourner dimages vers le Sénat pour ne pas que limage du Sénat soit associée à cette affaire. Larmée nous avait autorisée à tourner sur un terrain daviation à côté du Bourget. Au dernier moment on nous a opposé un refus. Une autre fois nous navons pas pu emmener les armes de jeu au Maroc, malgré nos demandes dautorisation. Alors on en a fait fabriquer une en caoutchouc, un fusil à lunettes et cest moi-même il faut le dire ! - qui lai passé dans mes bagages pour le Maroc (rires). Malgré ces tracasseries diverses, il faut dire que la mairie de Paris et dautres services nous ont quand même aidé. Nous avons obtenu des autorisations que personne na eu depuis longtemps : nous avons pu avoir le Bd St Germain bloqué toute une matinée un dimanche matin, ce qui nétait pas arrivé depuis 30 ans ! Donc nous navons pas été ennuyés par une volonté politique mais plutôt par des fonctionnaires qui de leur propre chef ont voulu faire leur loi !
- Comment sest déroulé le travail des deux scénaristes. Quelle a été lorigine du scénario ? Est-ce que tu leur as donné des indications particulières ?
Le scénario était écrit quand on me la proposé. On ma engagé comme metteur en scène, réalisateur. En revanche, quand jai découvert les scénarios que jai beaucoup aimés, je leur ai demandé de retravailler des dialogues, de les rendre plus vivants, moins littéraires. Je leur ai demandé de développer des situations. De mon côté jai simplifié pas mal de décors; cest un film de 135 décors. Ce qui est énorme ! Même pour le cinéma ce serait délirant ! Par exemple, nous avons tourné à lAcadémie de Billard Place Clichy. Ce lieu a permis de remplacer 3 ou 4 autres décors. Il a remplacé le Café de la Paix, la Closerie des Lilas
Jai aussi développé avec leur accord la partie de la vie familiale et intime de Medhi Ben Barka. Mais au total ce nest pas moi qui signe ce scénario.
- Simon Abkarian jouait le rôle de Ben Barka dans le film de Le Péron. Pourquoi lavoir repris ici à contre emploi dans le rôle dOufkir ?
Simon Abkarian dans le rôle de Ben Barka cétait un « miss casting », un casting
improbable ! Ben Barka faisait 1m52. Simon fait 1m90. Rien à voir. Dans le film de Le Péron, le personnage de Ben Barka na que trois petites séquences, il nexiste pas.
- Tu laurais choisi comme en réponse à Le Péron... ?
Non, jai choisi Simon car je le connais depuis son parcours chez Mnouchkine : cest un immense acteur, avec qui javais envie de travailler depuis très longtemps. Javais peur justement quil refuse le rôle dOufkir le méchant parce quil avait joué Ben Barka. Ça la au contraire amusé. Il est magnifique dans le rôle dOufkir. Mon choix na rien à voir avec le film de Le Péron. Simon ressemble physiquement à Oufkir, il est grand, classieux. Il est arménien donc il est tout à fait crédible en personnage dOufkir qui était quelquun de très élégant, de séduisant. Pour moi cest le comédien idéal pour interpréter ce rôle.
- Il a fallu reconstituer latmosphère des années 60 et des années De Gaulle en France ? Comment avezvous travaillé sur ce point là ? Est-ce que ça été facile de trouver des lieux de tournage adéquats ? Est-ce quil a fallu fournir un gros travail au niveau des décorateurs ?
Le chef déco a fait un énorme travail. Il avait déjà fait un magnifique boulot sur Indigènes, son dernier exploit. Choisir les décors ce nétait pas facile mais ce fut quand même un grand moment de plaisir daller en repérage, trouver les décors, voir comment les transformer, les modifier pour les rendre crédibles en décors des années 60. On sest beaucoup amusé. Mais il y a eu deux décors extrêmement difficiles. Le premier cétait le Bd St Germain devant chez Lipp. Il a fallu faire beaucoup de camouflage. On sest beaucoup servi de camions et de véhicules pour cacher les vitrines du boulevard car les propriétaires des magasins ont refusé que lon fasse des modifications sur leur devanture. On a reconstitué la station de taxi, une station de métro. On a eu beaucoup de chance davoir le boulevard pour nous. Un autre décor qui a été très difficile cest Orly. Il y a plusieurs halls à Orly : celui des arrivées, des départs, des bagages. On a tout reconstruit. Le bureau de Lopez qui donne sur les pistes et la tour de contrôle a été complètement fabriqué. Ce personnage de Lopez (interprété par Olivier Gourmet) est le chef descale, une pièce maîtresse de laffaire Ben Barka. Orly est un aéroport qui na pas changé depuis sa construction, même plafond, même couleurs, mêmes lampadaires, etc. Nous nous sommes servis de documents dépoque montrant lextérieur dOrly. Par effets numériques nous avons pu y intégrer les comédiens et on y voit que du feu !
- Et pour le directeur de la photo ? Avait-il des indications particulières ?
Cest la deuxième fois que je travaille avec Gérard Simon après Vive la bombe. On sest inspiré dun long métrage qui nous a beaucoup plus et qui sappelle Syriana avec Georges Clooney. Un film formidable qui montre comment se développe de manière tentaculaire les réseaux des services secrets avec les grandes sociétés pétrolières et le gouvernement américain. Nous nous en sommes beaucoup inspiré pour notre façon de tourner lAffaire Ben Barka. Notre objectif était de sinspirer de ce film. Nous ne voulions pas faire un film de reconstitution, un film dépoque. On a tourné ce téléfilm je crois de façon très moderne, tout le temps la caméra à lépaule, sintéressant plus aux personnages quaux décors, même si les décors sont formidables.
- Globalement comment sest passé le tournage ?
Sincèrement ? Au mieux de ce que nous pouvions espérer. Ce film je pense va être réussi. Je nai jamais eu autant de moyens pour faire un film de télé. Le budget du film avoisine les 5 millions deuros. Mais au-delà de laspect financier ce qui compte cest le pari misé sur ce sujet pour faire un téléfilm, linvestissement de la production. Nous avons eu des décors vraiment exceptionnels. Cest quelque chose que je nai jamais vécu à la télévision. Ce film devrait intéresser les foules. Le casting est incroyable, mieux quau cinéma !
- Ton cinéma est toujours curieux des différences. Tu as souvent abordé létrange, létranger, le handicap et la sexualité, le chômage, la banlieue
Est-ce que cette ouverture à tout ce qui est hors norme et différent pourrait résumer ton cinéma ?
Jaime bien lexpression « curieux des différences » mais ce nest pas une «curiosité»
Je ne peux pas imaginer dépenser de lénergie pour faire un film qui ne parle de rien. Ce nest pas possible
Même si je suis bon public et que je vais aussi au cinéma voir des films légers. Si je fais un film cest pour que le public prenne du plaisir à le regarder cest mon objectif premier. Mais ce dont jai envie aussi cest que le film ait un contenu, quil parle au niveau historique, social. Il est vrai que personnellement je suis amené à parler des gens qui sont en situation de faiblesse, de détresse, en marge de la société. Naturellement mes désirs sont de parler des gens qui vivent des injustices sociales. Cest cela qui me motive.
- Parle-nous de ton parcours
Je suis fils douvrier immigré italien. Mes choix de films viennent certainement de la façon dont jai été élevé par ma mère. Elle avait beau être une paysanne illettrée, elle avait des valeurs humaines simples mais très fortes : ne jamais profiter des gens, les aider. Quon soit noir, arabe, on se mélangeait ; ce qui comptait cétait les individus et pas la couleur de peau. Lautre credo de ma mère était quil fallait sen sortir par les études. On était 7 enfants et dans les quartiers ouvriers nous nétions pas nombreux à faire des études. Après cela, jai fait les grandes écoles. Je suis ingénieur de formation. Mais je ne voulais pas être ingénieur. Jai fait ces études pour me rassurer sur pas mal de choses: la peur du lendemain, la peur de manquer. Mon profond désir était dêtre écrivain. Jai écrit un premier roman qui est devenu un scénario. Je crois que dêtre du cinéma et de la télé aujourdhui cest pour moi une façon dêtre écrivain. Jai écrit mon livre en 1984. Cétait lhistoire de ma famille en Lorraine, une famille italienne dans lest de la France, avec les usines, la guerre dAlgérie qui se mélangeaient. Cétait une histoire très centrée sur ma famille, assez autobiographique. Je me suis baladé avec mon scénario sous le bras, comme ça, sans connaître personne. Je ne savais même pas ce que cétait quun comédien. Je ne connaissais personne dans le cinéma. Jétais prof de physique à Paris puis jai rencontré un copain peintre en bâtiment qui connaissait un copain, ex-flic devenu scénariste qui connaissait un metteur en scène qui allait prendre la direction de la fiction de TF1. Il lui a donné le scénario que la chaîne a adoré tout de suite ! Depuis je nai plus arrêté ! Je ne connaissais personne dans le monde du cinéma mais jétais imbibé de cinéma italien, de Pasolini, Fellini, Visconti. Javais appris le scénario de Rocco et ses frères ligne par ligne, presque par cur. Et jai écrit mon premier scénario en minspirant beaucoup de ce film
- Quand sera diffusé le téléfilm sur France 2 ?
Je ne sais pas encore exactement. Jaimerais que ce soit le 29 octobre prochain évidemment
Une sortie DVD est prévue également par la suite.
Propos recueillis par Pierre Vaccaro le 18 avril 2007
FILMOGRAPHIE DE JEAN-PIERRE SINAPI
Réalisateur
Vive la bombe ! (2006)
Camping à la ferme (2005)
Vivre me tue (2003)
Nationale 7 (2000)
Un Arbre dans la tête (1996)
Bocetta revient de guerre (1986)
Scénariste
Camping à la ferme (2005), de Jean-Pierre Sinapi
Vivre me tue (2003), de Jean-Pierre Sinapi
Nationale 7 (2000), de Jean-Pierre Sinapi
Les Hirondelles d'hiver (TV) (1999), de Andre Chandelle
La Rivière Espérance (1995) - Saison 1 SÉRIE TV
épisode : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Bocetta revient de guerre (1986), de Jean-Pierre Sinapi
La Vallée des espoirs de Jean-Pierre Marchand (1984/1985)
Adaptateur
Les Hirondelles d'hiver (TV) (1999), de Andre Chandelle
Retrouvez des photos du tournage de L'Affaire Ben Barka ici