«La mort nest jamais la fin dune histoire »
En faisant le choix dadapter luvre théâtrale de Wajdi Mouawad, Denis Villeneuve raconte, pour son cinquième film, une histoire qui détient la puissance dune tragédie antique et la force brute d'un documentaire de guerre. Le tout, servi par un art de la narration que lon ne rencontre pas si souvent que cela au cinéma.
Drame antique dabord puisque le film puise sa profondeur dans la mythologie. On y retrouve effectivement des personnages soumis à des forces qui les dépassent, au cur dun destin exceptionnel, perdus dans un brouillage des générations propre aux mythes, comme chez dipe par exemple qui veut épouser sa mère. Les jumeaux, personnages principaux joués par Maxim Gaudette et Mélissa Desormeaux-Poulin se lancent dans une longue quête initiatique afin de démêler le mystère de leur origine. Ils remontent aux sources de leur passé familial, dans un pays en guerre où les destins, comme un sinistre jeu de hasard, sabattent au gré dun arbitraire terrifiant. Dès les premières images, Incendies porte en lui une tension dramatique qui ne peut que saisir le spectateur : lenteur des plans, silences pesants, zooms lents et majestueux sur les visages. Villeneuve insuffle à son film un art de la narration proche de la littérature. Sa caméra scrute les traits angoissés des personnages dans la peine ; des plans volontairement lents et fixes qui permettent au spectateur de laisser toute sa place au symbolique. Le brio du montage, parsemé de flash-backs et structuré en épisodes par des titres, renforce lidée dun voyage intérieur où les personnages évoluent comme dans un labyrinthe.
Le documentaire un reportage de guerre - représente le second aspect du film. Le réalisateur est issu du monde de la pub et ne peut le cacher longtemps: les images, souvent très pures, sont murement réfléchies et travaillées. Lutilisation discrète et habile de la musique, utilisée elle aussi comme ressort dramatique, vient renforcer la description terrifiante de ce pays en guerre, pays du Moyen-Orient jamais nommé mais dont on peut supposer quil sagit du Liban. La partie tournée au Moyen-Orient présente un esthétisme de toute beauté par opposition à la partie quebecoise, grise et sale. En témoignent par exemple ces nombreux plans dimmeubles délabrés, plongés dans la grisaille, décrivant un monde sans espoir. Le film perd en puissance lorsquil se rapproche dun style à la « Reporter sans frontières », au détriment de lémotion et de lattachement aux personnages. Il arrive en effet que le récit manque de ce petit supplément dâme, presque d'humanité pourrait-on dire. Incendies montre une violence barbare au cur du Moyen-Orient où des personnages ivres de prières et de religion plongent le pays dans un chaos
Lassociation à lécran de ces deux genres, la tragédie et le documentaire, constitue donc la faiblesse du film qui peine à trouver une unité de style et parfois se perd. Cela nempêche pourtant pas Denis Villeneuve de relever le défi avec une oeuvre qui touche à lintime. Lorigine, la vérité, la mort, la transmission sont les thèmes clefs de cette histoire qui renvoie chacun au cur de sa propre existence. Incendies évoque lépreuve du feu. Pas seulement le feu de la guerre, pas seulement celui de notre histoire avec ses passions, celui également de lau-delà de nos vies où un avenir reste possible. Cest certainement de ce feu là dont parle le notaire, qui, connaissant bien lhistoire de la défunte, rappelle à ses deux enfants une vérité universelle : « La mort nest jamais la fin dune histoire. »
Maxim Gaudette et Mélissa D.-Poulin, les jumeaux
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